Preuve déloyale ou illicite : dans quelles conditions la produire ou la faire écarter ?
Le revirement opéré par l’Assemblée plénière dans son arrêt du 22 décembre 2023 (n°20-20.648) a mis fin au principe ancien, selon lequel toute preuve obtenue par stratagème ou procédé clandestin devait être automatiquement écartée du débat civil. Depuis lors, la preuve déloyale ou illicite n’est plus frappée d’irrecevabilité de manière absolue : son admissibilité dépend d’un contrôle de proportionnalité articulé autour du droit à la preuve.
Ce changement s’inscrit dans un cadre normatif où la liberté de la preuve (art. 1358 C. civ.) demeure le principe, tandis que l’article 9 du Code de procédure civile rappelle que les faits nécessaires au succès des prétentions doivent être établis conformément à la loi. Les articles 11 et 145 du Code de procédure civile confèrent au juge des pouvoirs étendus pour ordonner la production ou la conservation d’éléments probatoires, permettant d’encadrer la recherche de la vérité tout en préservant les droits fondamentaux. Cette architecture textuelle, jusque-là complétée par un principe prétorien de loyauté, est désormais dominée par une exigence jurisprudentielle de proportionnalité.
L’arrêt du 22 décembre 2023 unifie le régime de la preuve illicite et de la preuve déloyale. Une preuve obtenue à l’insu de la personne concernée ne peut être admise que si la partie qui l’invoque démontre qu’elle est indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et que l’atteinte portée aux droits adverses, notamment au respect de la vie privée, demeure strictement proportionnée au but poursuivi. L’analyse est résolument contextualisée : le juge doit apprécier la nature du procédé, l’existence de moyens alternatifs et l’impact de l’ingérence sur l’équité de la procédure.
La Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 6 juin 2024 (Civ. 2e, n°22-11.736), la production d’un enregistrement clandestin essentiel pour établir des violences contestées, en relevant l’absence de toute autre preuve disponible et la proportionnalité de l’atteinte portée à la vie privée du dirigeant concerné.
La Cour d’appel de Rennes a admis le 24 septembre 2024 (n°23/06318) des photographies contestées, estimant que l'atteinte portée était faible et que la preuve avait été obtenue dans un contexte autorisé.
À l’opposé, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a refusé, le 9 octobre 2025 (n°24/12830), la production d’une retranscription de conversation enregistrée à l’insu de ses participants, faute pour la partie qui l’invoquait d’avoir démontré ni l’indispensabilité de ce procédé ni la proportionnalité de l’atteinte.
La disparition de la distinction entre preuve déloyale et preuve illicite conduit donc à un régime unique, centré sur une mise en balance rigoureuse. La recevabilité n’est plus déterminée par la nature du procédé utilisé, mais par l’équilibre entre le droit à la preuve et la protection des droits fondamentaux. Ce mouvement rapproche le droit interne des exigences de la CEDH et impose aux parties une démonstration précise, condition indispensable pour que le juge admette une preuve obtenue par un moyen attentatoire.